07.10.2021
Je viens de me faire arrêter, pour la première fois de ma vie, car je me suis assise, avec trois autres courageuses rebelles, sur un passage piéton au croisement de la Bahnhofstrasse et Uraniastrasse à Zurich, ce jeudi 7 octobre 2021, à 13h, dans le cadre de la Rébellion d’octobre d’XR (Extinction Rebellion). En effet, je fais partie des Doctors for XR (D4XR), la branche pour la santé d’XR. C’est un mouvement d’activistes pour le climat. Nous luttons contre l’extinction de la biodiversité, et les effets de la pollution et du changement climatique sur la santé humaine.
L’action d’hier consistait à « seulement » sortir du train puis marcher depuis la gare vers notre but du passage piéton, en portant une pancarte « arrêtée parce que je m’inquiète ». Nous étions filmées pour montrer comment la répression policière est grande. En effet, au troisième jour de la rébellion, la police peut désormais nous arrêter « juste » parce que l’on porte un signe distinctif d‘XR sur nous ou si l’on a une banderole dans son sac, et ceci SANS même avoir commencé un quelconque blocage ! C’est de la prévention, mais je trouve cela tellement injuste de se faire arrêter alors qu’on n’a encore RIEN fait !
C’est comme dans le film d’anticipation du style « Minority report » avec Tom Cruise, où les forces de l’ordre peuvent connaître l’avenir et arrêter quelqu’un avant même qu’il ne commette un crime.
Le matin, nous avons eu un briefing pour savoir quoi faire pour cette action et comment se comporter en cas d’arrestation et une fois au poste. Nous savions que l’arrestation était pratiquement garantie. Nous nous sommes donc préparées psychologiquement. Nous étions trois rebelles.
J’avais rencontré Ephyra dans le campement (aux abords de la ville de Zurich) la veille au soir, et Anne-Sarah le matin même lors de ce briefing.
L’ACTION :
Nous sommes descendues du train (Uster : 12h36 – Zurich : 12h50), filmées et photographiées par une bonne dizaine de médiactivistes. Nous devions avancer dans la Bahnhofstrasse, mais il y a eu une petite confusion et, sur les indications de notre ange-gardienne nous avons pris une rue parallèle, ce qui nous a finalement peut-être aidé.
J’étais habillée avec ma blouse blanche des Doctors for XR et j’avançais la première. Nous pensions nous faire arrêter à tout moment car les policiers zurichois étaient partout dans la ville à guetter les activistes. Derrière moi, Anne-Sarah me suivait avec sa pancarte écrite en allemand. Ephyra fermait la marche avec son carton écrit en italien.
Nous étions heureuses de pouvoir seulement marcher sans être interceptées.
Nous avions convenu d’être l’une derrière l’autre avec environ deux mètres de distance et nous asseoir en même temps dès que l’une de nous se ferait arrêter…
La tension était grande. Mais la joie de pouvoir avancer grandissait au fur et à mesure que nous nous approchions de notre but : arriver au passage piéton et s’asseoir pour stopper la circulation des voitures.
Car oui, en effet, le but de cette rébellion était bien de perturber la circulation pour interpeller sur l’urgence climatique. Tous ces blocages avaient été annoncés aux autorités de la ville de Zurich longtemps en avance. Au préalable une lettre avait été déposée en juin au conseil fédéral pour qu’il dise la vérité et déclare l’urgence climatique. Comme il ne l’a pas fait pour l’ultimatum du 20 septembre, XR avait prévenu que l’on bloquerait les rues de Zurich, ville représentant le cœur de l’économie suisse avec tous les sièges des banques et grosses industries du pays.
On a déjà utilisé beaucoup de moyens légaux pour essayer de faire changer les choses, la Suisse étant signataire de l’Accord de Paris qui prévoit la neutralité carbone pour 2050. Ici, XR demande que les moyens soient mis en œuvre pour l’atteindre avant, en 2025 car la catastrophe est tellement imminente qu’il faut agir le plus vite possible.
Mais rien n’est fait. Alors, il ne nous reste que nos « simples » corps de citoyen-ne-s pour interpeller la population et les autorités en perturbant la circulation.
Nous ne le faisons pas de gaieté de cœur, ni pour embêter la police, bien au contraire. Nous savons malheureusement les conséquences de ces actes, qui pourtant sont pour le bien commun.
En chemin, et proche de notre but, une dame aux cheveux courts et blancs nous a applaudit : c’était tellement chouette ! Nous lui avons souri et l’avons remerciée.
Quand j’ai enfin aperçu notre but, je me suis retournée vers Anne-Sarah et Ephyra pour leur dire : « ça y est les filles ! C’est bientôt à nous, on y est presque ! ».
En effet, le petit bonhomme était rouge. Ça m’a semblé une éternité pour qu’il passe au vert. J’entendais de toute part «Attention, les flics arrivent», mais mon but, c’était d’aller m’asseoir sur ce passage piéton, coûte que coûte !
Et nous l’avons fait !
Le moment suivant, j’ai eu l’impression de ne plus rien entendre. Peut-être y’a t-il eu des coups de klaxon… ? Je ne saurais le dire.
Exactement six secondes après m’être assise (on le voit sur la vidéo qui a été tournée en live), un policier vient me prendre le bras droit avec une clef de bras. Peut-être m’a-t’il fait mal, j’en ai aucune idée car l’adrénaline a dû inhiber le signal de la douleur… Il m’a parlé en suisse-allemand pour m’ordonner de dégager la voie, mais j’ai refusé. Il m’a ensuite relâché.
Puis je me suis mise à pleurer. Mais c’étaient des larmes de joie car nous avions tout de même réussi à bloquer cette rue. J’ai aussi pleuré car j’ai pensé à mes enfants.
Ensuite, je me suis reconnectée avec ce qu’il se passait autour de moi. J’ai alors réalisé que la dame aux cheveux blancs qui nous avait applaudi venait de nous rejoindre, assise sur une petite chaise pliante. INCROYABLE ! Mais d’où venait-elle ? Elle n’était pas au briefing du matin. Je l’ai remercié d’être là.
Puis, une dame aux cheveux courts s’est agenouillée face à moi pour me dire « merci pour ce que vous faites ». Encore des larmes.
Je voyais autour nous les médiactivistes presque tournoyer. L’un d’entre eux en avait même les larmes aux yeux, d’admiration.
Ensuite, j’ai vu arriver sur moi deux policiers, de chaque côté, me disant de me lever en suisse-allemand. J’ai répondu que je ne parlais pas allemand, alors l’un a dit « levez-vous », et j’ai répondu « non». Puis ça a été très vite. Ils m’ont soulevé par les bras et les pieds. Je n’ai opposé aucune résistance, car à XR, nous faisons de la Désobéissance Civile Non Violente (aussi appelée NVDA en anglais).
J’ai juste dit « Ich bin da für die Gesundheit und meine Kinder », qui signifie « je suis suis là pour la santé et pour mes enfants ».
Ils m’ont déposé sur le dos, juste à côté du feu de signalisation, sur le trottoir. Je suis restée là peut-être une minute. Puis deux autres policiers m’ont évacuée, chacun portait un bras et une jambe, un peu plus loin. Ils m’ont assise contre un pilier, devant une banque UBS, au même endroit que nous avions bloqué le lundi 4 octobre. Ce jour-là, je ne pouvais pas me faire arrêter à cause d’obligations familiales, je devais absolument rentrer pour récupérer mes enfants, mais 132 rebelles se sont fait amener au poste pour des gardes à vue de 6 à 48h.
Contre ce pilier, j’ai attendu peut-être deux minutes avant que la dame aux cheveux blancs me rejoigne. Nous nous sommes présentées. Elle s’appelle Frédérique, vient de la région de Neuchâtel. Elle est vraiment incroyable car elle s’est joint à nous spontanément ! Elle a seulement vu sur Facebook qu’il y avait cette rébellion à Zurich. Elle voulait s’asseoir aussi avec des rebelles ou bien rejoindre les autres qui devaient faire des banderoles (pour remplacer celles confisquées par la police), mais ne les a pas trouvés. Elle a cherché aux alentours de la gare et c’est un peu par hasard qu’elle a croisé notre chemin. Sa décision de nous rejoindre a été spontanée et c’est grâce à nos visages et nos sourires pour la remercier d’être là à nous applaudir qu’elle s’est décidée.
Ensuite est arrivée Anne-Sarah, sur ma gauche, et enfin Ephyra, sur la gauche d’Anne-Sarah, mais je ne pouvais pas la voir car elle se trouvait ainsi derrière le pilier.
S’en est suivi tout le protocole de la police pour les prises d’identités.
Les médiactivistes nous ont rejoints sur cette place, ont bien immortalisé le moment. J’espère qu’ils ont bien relayé les images.
Enfin, nous avons été conduites dans le fourgon, fouillées, démunies de toutes nos affaires personnelles, puis emmenées au poste.
LA GARDE A VUE
A la sortie du fourgon, nous avons été conduites dans une sorte de sous-sol. On m’a expliqué qu’il a été attribué «exprès» pour les activistes (nombreux) d’XR car le poste habituel aurait été trop petit. Nous avons été emmenées l’une après l’autre dans une cellule collective, encadrées par deux agents, après avoir reçu un matricule au feutre noir sur la main, j’étais le n° 304. Ça m’a fait penser aux matricules tatoués sur les juifs déportés.
La scène devant la porte de cette cellule s’est révélée hilarante. En effet, le gardien n’a pas réussi à ouvrir la porte pour que je rejoigne Frédérique et Ephyra (Anne-Sarah était déjà repartie encadrée de ses deux gros «malabars» de policiers). Il a essayé à plusieurs reprises : ça ne fonctionnait pas. J’ai tout simplement ri de l’absurdité de la situation : Dieu refusait que je sois enfermée ! On aurait dit un gag. Finalement il est allé chercher un de ses collègues qui a réussi, non sans mal aussi.
Voilà. Nous avons ensuite, chacune séparément, enchainé les déplacements à l’intérieur du poste, avec des enfermements dans différentes pièces. Dans l’une d’elles, j’ai beaucoup attendu et il y avait une acoustique particulière : je me suis mise à chanter ( moi qui chante comme une casserole, ça sonnait bien!) « La corrida » de Francis Cabrel :
… « depuis le temps que je patiente dans cette chambre noire »…
J’ai eu l’impression que l’homme m’apportant le formulaire suivant a attendu que je termine ma chanson pour entrer.
Ensuite une femme brune ouvre la porte pour me demander de me déshabiller. Elle laisse la porte entrouverte pour que sa collègue la voit. Je m’assure auprès d’elle qu’aucun homme ne pourra me voir nue, c’est ok, personne d’autre ne viendra.
Je sais que je ne peux pas échapper à cela, c’est dans la loi. Et puis j’ai entendu les récits des rebelles incarcérés précédemment ayant refusé de se soumettre : ils ont été déshabillés de force. Mais je connais mes droits. Je dois être «inspectée» par une personne du même genre, une femme donc, c’est bon. Elle reste à distance de moi, j’enlève donc tout le haut, me rhabille, puis j’enlève tout le bas, et me rhabille. Elle inspecte avec ses mains seulement mes cheveux. C’est tout.
Dans cette pièce, j’ai de nouveau pleuré en pensant à mes enfants et à pourquoi on fait ça : les méchants ce n’est pas nous.
L’INTERROGATOIRE
Depuis le début de notre arrivée, nous sommes chacune accompagnées par deux «inspecteurs». Je retrouve donc mes deux acolytes dans leur bureau pour mon interrogatoire. Il y a là aussi un interprète qui se présente à moi. Je ne me suis pas vraiment préparée à cet interrogatoire, mais je me dis qu’il faut que je sois moi-même, en accord avec mes principes (ne pas mentir), courtoise et pourquoi pas faire un peu d’humour si je le sens bien.
En premier lieu, les inspecteurs lisent mon motif d’accusation.
Je suis donc accusée de «tentative de contrainte» selon l’art. 181 du code pénal suisse. Mais je demande à mon traducteur si c’est bien normal qu’il ne soit pas précisé de quelle contrainte il s’agit. J’estime qu’il existe toutes sortes de contraintes (psychologique, sexuelle…etc). Mais apparement, oui, on n’a pas besoin de préciser quelle contrainte.
Ils veulent aussi prendre mes empreintes digitales, photos et ADN. Là, je commence à avoir des doutes sur ce que je dois faire. Il faut que je téléphone à la Team Légale d’XR.
Ils m’énoncent donc mon chef d’accusation avec les détails de lieu et d’heure du blocage et me demandent si je l’ai bien compris. «oui», j’ai bien compris, mais je m’assure, avec l’aide du traducteur, que cela ne veut pas dire que j’avoue cet acte.
Ils accèdent à ma demande de téléphoner. Ouf ! (je suis la seule des trois autres à avoir cette faveur).
Au bout de trois sonneries, une voix masculine me répond. Je dois être concise. J’annonce une info et une question. L’info, c’est l’identité de Frédérique car elle ne fait pas partie d’XR : je lui donne tous les détails de son identité (nom, prénom, son village) qu’elle m’a transmis lors de notre transport dans le fourgon. En effet, son mari ne sait même pas qu’elle est partie à Zurich et encore moins qu’elle s’est fait arrêtée et qu’elle ne sera certainement pas à la maison pour le repas du soir.
Je me renseigne sur mes obligations. Oui, je dois donner mon nom, prénom, date de naissance, adresse officielle, éventuellement le nom de mes parents (je n’ai plus de père), mes photos, empreintes digitales et c’est tout. Le reste je peux le refuser, notamment le prélèvement d’ADN, et toutes les autres questions de l’interrogatoire.
Alors, j’applique tout ça, et à chaque question de cet interrogatoire, je réponds inlassablement «rien à déclarer».
Il y a : - pourquoi avez-vous fait cela ?
- adhérez-vous à XR ?
- avez-vous participé à l’organisation de cette action ?
Et puis arrivent des questions saugrenues, comme :
- combien gagnez-vous ?
- combien gagne votre mari ?
… toujours la même réponse. Et comme je souris, l’interrogateur commence à sourire aussi. Et puis, là, je le trouve finalement agréable et accessible. Je tente donc une petite blague que mon traducteur lui transmet aussi en rigolant : «vous avez un joli sourire et c’est chouette de se rendre compte que vous, les policiers, n’êtes pas si méchants». Et nous voilà à rire tous ensemble, les quatre.
Je réponds à une seule question : celle des enfants, oui j’en ai deux.
Je signe ce PV où il est seulement écrit «rien à déclarer» sous chaque question.
Ils me précisent que si le procureur ne retient rien contre moi, j’aurais seulement une interdiction de 24h du territoire de Zurich, à compter du début de l’interrogatoire. Donc, à 16h15, le lendemain, le vendredi 8 octobre c’était fini. J’ai tenté une autre blague : ça veut dire qu’à 16h20, je peux revenir à Zurich ? Ils ont bien ri, et m’ont dit que j’aurais quand même juste le temps d’aller boire un p’tit café.
Au moment de se quitter, je demande à l’un des deux inspecteurs si je peux seulement envoyer un message à mes enfants : il accepte. J’ai ainsi accès à mon téléphone : super ! Je me prépare à écrire un SMS, tout en recevant 65 messages d’un coup de personnes inquiètes pour moi, mais je tente un «puis-je juste les appeler ?». C’est ok.
«Coucou Clara, ça va ma chérie ? (Oui). Je voulais juste te dire que je suis avec la police de Zurich, comme je t’avais prévenue, mais que je vais bien. (Ah?). Oui, les policiers sont très sympas, on fait même des blagues, tout va bien, ne t’inquiètes pas. (Ok). Bisous». Et j’arrive aussi à dire de même à mon fils qui est à côté.
Ouf ! J’ai parlé en étant rassurante mais avec quelques trémolos dans la voix. J’espère tout de même que ça ne va pas trop les inquiéter, mais il fallait que je leur parle.
Ensuite plusieurs photos (debout – assise – de face – les deux profils), les empreintes digitales (les cinq doigts de chaque main – les paumes – les côtés des paumes). Ils voulaient me faire des prélèvements ADN, mais j’ai dit qu’on avait convenu que non, alors OK pas de prélèvements.
Je suis emmenée dans une cellule avec un WC, une table et deux banquettes fixées au mur.. On m’accorde mon premier repas en prison : un thé aux fruits tiède sucré, une tarte aux poires et au chocolat super bonne, ça fait du bien car je suis affamée, je n’ai rien mangé depuis ce matin, et il doit être 18h. Vais-je rester ici ? Non, je suis emmenée deux étages plus haut dans ma cellule après avoir enlevé mes chaussures (on me donne des crocs), ma jaquette (avec lacet dans la capuche) et mes bijoux. Et là, ouf, je retrouve Anne-Sarah. Quel soulagement ! Nous allons être ensemble.
L’EXPERIENCE EN CELLULE
Dès mon arrivée, je sens le stress d’Anne-Sarah qui me harcèle de questions. Est-ce que j’ai signé tous les papiers ? Est-ce qu’ils ont pris mon ADN ? Est-ce que j’ai eu le droit de téléphoner ?
Elle me raconte son expérience et nous constatons que nous n’avons pas du tout eu la même expérience et traitement de faveur. En effet, ses interlocuteurs l’ont vraiment harcelé. Ils lui ont mis la pression pour qu’elle leur donne des infos sur elle, plus d’infos que moi.
Du coup, je lui explique mon expérience à moi, et me rends compte de la chance que j’ai eue de tomber sur des personnes sympas avec moi.
Et puis là, je me retrouve, de fil en aiguille, à lui raconter ma vie, toute ma vie. Combien j’ai souffert depuis la séparation d’avec le père de mes enfants après une belle relation de 17 ans. N’étant pas mariée, je n’ai jamais réussi à accéder à la nationalité suisse (je suis française) et ça me fait peur pour la suite de cette garde à vue. Mais étant résidente, avec mes enfants suisses, je ne devrais pas être inquiétée.
Voilà, je déballe tout ce que j’ai sur le cœur à une inconnue, une fille de 27 ans qui vient de Bienne et que je ne connaissais pas le matin même… Mais le feeling est là, le courant est passé tout de suite, déjà même avant l’action.
J’apprends aussi beaucoup sur sa vie. Nous partageons nos émotions, nos histoires, notre parcours, nos buts, nos rêves et aussi nos convictions pour notre engagement dans la lutte pour «sauver» le climat, la biodiversité, la planète…etc
Voilà que nous avons passé presque cinq heures à discuter, dehors il fait noir depuis longtemps. C’est comme ça, les filles : ça papote !
Nous allons passer la nuit ensemble dans une cellule pour une personne, d’environ 8m2, Les toilettes n’offrent aucune intimité, tout est en «open space». Nous ne sommes pas trop pudiques mais ça fait quand même bizarre d’être vue sur le trône.
Elle dort sur l’unique lit, et moi, sur deux matelas posés par terre. Nous avons droit à une brosse-à-dent et du dentifrice de la marque Trybol : une découverte ! Il est super bon et made in Switzerland.
Après quelques difficultés, je parviens tout de même à m’endormir en me disant que je vais dormir en prison et en espérant que demain nous soyons libres. J’espère de tout mon coeur ne pas faire plus que 24h, mais je dois me préparer psychologiquement aux 48h.
08.10.2021
Finalement, j’ai bien dormi, mais ai été réveillée en sursaut par des cris stridents dehors. Qui peut bien crier de cette façon si tôt le matin ? Quelqu’un qui s’est fait embarquer au poste. Puis la lumière s’allume alors qu’il fait encore nuit noire.
On nous amène le petit déjeuner après qu’Anne-Sarah se soit réveillée : elle a bien dormi aussi.
On nous propose une promenade : c’est très volontiers
Dans le couloir, on retrouve Frédérique qui a les larmes aux yeux en nous voyant. Nous pensions qu’elle était avec Ephyra, mais non. Nous descendons les escaliers et on nous demande de patienter devant la porte. Là, les gardiens nous mettent les menottes aux poignets, comme dans les films. Les larmes me montent aux yeux : sommes-nous des criminelles ?
Ils m’attachent le poignet droit avec celui d’Anne-Sarah. Je lui prends la main comme s’il n’y avait pas ces foutues menottes. Frédérique est menottée avec une autre femme que l’on ne connaît pas (elle parle seulement espagnol).
Arrivées toutes les 4 dans une cour intérieure après plusieurs portes de sécurité, nous sommes libérées de nos entraves et pouvons enfin nous prendre dans les bras.
Frédérique pleure et nous apprend qu’elle est toute seule dans sa cellule. Nous espérions pourtant qu’elles soient ensemble, avec Ephyra, pour se soutenir. Ça nous brise le cœur de la savoir seule pendant toutes ces longues heures.
Ensuite elle nous raconte son interrogatoire, tout en marchant en rond dans cette cour de quelques mètres carrés. Nous constatons encore une fois qu’elle n’a pas eu la même chance que moi car l’un de ses interlocuteurs l’a aussi harcelé pour répondre à ses questions. Elle a bien suivi ce que je lui avait expliqué durant le transport en fourgon quant à ses droits et ce qu’elle pouvait dire ou ne pas dire , suivant notre briefing du matin. Ils l’ont obligé, comme Anne-Sarah, à faire les prélèvements ADN. Elle a répondu à quelques questions. Elle a réussi à passer un coup de téléphone à son mari, mais il n’a pas décroché malheureusement. Elle a aussi chanté dans une de ces cellules de transition, aussi la Corrida, mais celle de l’opéra de Carmen… Et nous voilà toutes les 3 à chanter : «et si je t’aime, prends garde à toi !»
Ensuite nous évoquons Ephyra et l’inquiétude nous envahit… Où se trouve-t-elle ? Comment va-t-elle ? Elle nous avait dit redouter la détention car elle a été opérée juste avant d’arriver à Zurich. Elle est faible depuis et a toujours des douleurs et saignements. Elle avait peur de souffrir.
Et puis comme elle n’avait pas sa carte d’identité sur elle, mais seulement une carte bancaire, et aussi le fait qu’elle a déjà été arrêtée pour des affichages nocturnes ont-il penché en sa défaveur ? Mais pourquoi n’est-elle pas ici ? Nous le saurons à la sortie, mais quand ?
On se reprend dans les bras, on essaie de donner plein de courage à Frédérique qui va retourner seule dans sa cellule. Elle est vraiment incroyablement forte d’avoir pris cette décision de venir nous rejoindre, tout de même ! Elle nous confie qu’elle est seule responsable, qu’elle sait pourquoi elle l’a fait et que ça la remplie de bonheur de nous avoir dans ses bras et elle nous répète : «on est ensemble».
Quand on arrive dans notre cellule, je suis scandalisée qu’elle soit seule et qu’elle ait été traitée ainsi par ses interlocuteurs ! Frustrée qu’elle n’ait pas pu parler avec son mari.
Ce qui aide bien à passer le temps, c’est de pouvoir parler avec Anne-Sarah. On se confie l’une à l’autre. On raconte nos vies, nos épreuves, nos bonheurs, nos voyages, nos envies, nos rêves…
On nous amène le repas vers 11h. Après, j’arrive à faire une sieste. Ça fait trop du bien ! Pendant ce temps, Anne-Sarah écrit son expérience en prison. Elle a entendu pas mal de portières de fourgons s’ouvrirent et se refermer. Elle a fait 2-3 séries de « squats » pour bouger. C’est une grande sportive, elle est physio : il faut d’ailleurs qu’elle nous rejoigne chez les D4XR (Doctors for XR).
Ensuite, la vie carcérale se résume à se brosser les dents, faire son lit (c’est une vraie nécessité pour Anne-Sarah, qui trouve là un repère dans la journée, comme le fait de demander l’heure). On a un bouton bleu au mur pour écouter de la musique. C’est Radio Swiss Pop, ou Radio Classique, sans bien évidemment l’heure, ni même les infos ! On fait pipi et même caca à la vue (et au nez!) de l’autre. On a une sonnette pour quelques requêtes comme avoir un peu de lecture : des magazines, en allemand bien sûr, des sudokus. Anne-Sarah en profite à chaque fois pour demander l’heure, ça la rassure.
Et puis, c’est le repas du soir, il est 16h45. Tous nos espoirs d’être libérées après 24h tombent à ce moment-là. Si on mange à 16h46, c’est après les 16h15 écrit sur mon PV, donc nous sommes bien reparties pour 24h… Moment d’abattement…
Autant elle que moi avions espéré ne faire que 24h, mais force est de constater qu’on va bel et bien faire 48h.
Il faut se ressaisir ! Je lui rappelle pourquoi nous sommes là. Et que derrière nous, plein de personnes nous soutiennent, autant notre famille que nos amis, mais aussi toute cette grande famille d’XR. En effet, je sais, pour en avoir discuté auparavant, qu’il existe tout un système de relais entre rebelles pour attendre les rebelles arrêtés à leur sortie du poste. Il y a même tout un appartement mis à disposition, juste à côté du poste, pour se reposer, manger, se doucher. Et ensuite, des debriefing émotionnels sont organisés. Et puis, après encore quelques discussions, nous nous couchons. J’ai peur de ne pas réussir à m’endormir après ma grande sieste de cet après-midi. Alors, je me tourne et me retourne dans mon lit. Après avoir éteint les lumières, on parle encore de nos métiers respectifs, du contact avec nos patients. Elle m’explique qu’elle tutoie très vite ses patients car elle les revoit régulièrement pendant le traitement, tandis que moi, dans mon métier, la radiologie, nous ne côtoyons les patients que pour faire un diagnostic, avec un temps d’examen court. Alors il faut avoir le contact rapide pour les mettre en confiance dès le départ pour pouvoir faire un bon examen. Nous parlons du principe de fonctionnement de l’IRM et toutes ces grosses machines diagnostiques, je suis TRM Technicienne en Radiologie Médicale. J’aime faire ces belles images qui sont encore en noir et blanc et nuances de gris, tout comme la photographie. J’aime les belles images, je fais beaucoup de photos quand je suis en vacances, et ça m’arrive souvent de m’arrêter dans ce que je fais (en vélo, à la maison…) pour capturer un instant, une luminosité particulière. Des fois, ce sont des arc-en-ciel, des fois des rayons de soleil sur les montagnes, des fois le portrait de mon enfant, le portrait de notre chat, parfois une jolie fleur. Je m’endors. Je me réveille deux fois. La deuxième car il y a de la musique dans la rue : bizarre devant un poste de police.
09.10.2021
Je me réveille avec le bruit des clefs. C’est fou, ça, comme on devient attentive à certains bruits en prison. Anne-Sarah est déjà debout, elle écrit, son lit est fait au carré, et la lumière est allumée. Elle a été surprise que je ne me sois pas réveillée avec l’éclairage automatique. On nous apporte, par la petite trappe dans la porte, le petit déjeuner. C’est la même chose que la veille : un café au lait sans sucre, deux tranches de pain, une confiture, un morceau de beurre. C’est pas terrible.
On se réjouit de retourner se promener et de retrouver Frédérique. Enfin, on nous ouvre. Là, c’est la grande surprise de voir Ephyra ! Comment est-ce possible ? Nous sommes trop heureuses de la voir. Rebelote avec les menottes pour aller dans la cour extérieure. Cette fois, comme nous sommes cinq, ils nous attachent à trois : Anne-Sarah, Ephyra et moi dans une procédure compliquée où l’on a les bras les uns entrelacés avec les autres.
Nous sommes libérées dans la cour. Ephyra nous explique qu’elle est seule depuis le début dans une cellule tout près de la nôtre puisqu’elle entend nos voix quand les gardiens viennent nous ouvrir. Elle a donc été rassurée de comprendre que nous étions ensemble. Elle nous explique son interrogatoire qui a été très long et tard. Elle avait très faim, mais n’a rien reçu. Elle a demandé un avocat et attendu une heure qu’il arrive. Mais il n’a servi à rien puisqu’il lui a répété la même chose qu’on savait déjà depuis le début : les policiers finiront par obtenir les photos et les empreintes digitales. Elle a donc tout accepté, même l’ADN. En revanche, elle a aussi dit «rien à déclarer» pour chaque question. Hier, elle n’est pas venue à la promenade car elle était trop fatiguée. Elle le regrette car elle aurait bien aimé nous voir.
Nous marchons en parlant. Et puis, on se met à faire de grands mouvements de bras pour détendre nos muscles et articulations. Ephyra se met à chanter et nous la suivons. Nous chantons ! Nos voix partent dans le ciel, c’est beau malgré le grillage au-dessus de nous. J’invite la cinquième femme assise par terre, l’espagnole. J’arrive à comprendre qu’elle est péruvienne. On parle de son beau pays. Elle vient, marche avec nous, tape dans ses mains, nous accompagne.
Ça y est, il est déjà l’heure de retourner dans nos cellules. On se prend toutes les cinq dans les bras pour se donner du courage… «on est ensemble», on se répète «on est ensemble».
Normalement, c’est effectivement la dernière ligne droite. On ne devrait pas faire plus de 48h, alors quand on rentre en cellule à 8h30, il nous reste plus que sept heures de détention : on va y arriver !
On parle et on se rend bien compte que les réactions de la police zurichoise sont disproportionnées.En effet, nous avons 48h de détention pour un blocage de rue qui a duré tout au plus cinq minutes ! Ceux de lundi ont fait 5h ou 24h et certains 46h (récidivistes) pour un blocage de plus de deux heures. Mais ils ont été relâchés plus vite car ils étaient 134, et faute de place, ne pouvaient pas tous rester au poste. Alors que nous, nous étions seulement quatre ce jour-là, donc toute la place et le temps pour rester, j’imagine.
La tactique de la police est en effet d’essouffler le mouvement en interdisant le territoire zurichois au plus de personnes possible pour qu’elles ne reviennent pas bloquer immédiatement des rues, comme cela avait été annoncé. La tactique d’XR est de se faire arrêter pacifiquement et revenir s’asseoir le lendemain… Mais c’est impossible car les policiers ont le « super-pouvoir » d’interdire la zone pendant 24h, 48h ou même 2 semaines ! Ils « éliminent » donc chaque jour de nombreux activistes.
Le repas de midi arrive : c’est une lunchbox d’un plat asiatique contenant encore une fois du riz. Juste après, on toque à la porte, la dame m’appelle par mon nom de famille en suisse-allemand qui ne ressemble plus tellement à mon nom. Elle me tend des papiers intitulé « Strafbefehl»: c’est mon ordonnance pénale. On essaie de traduire ça avec Anne-Sarah… Une amende de 800.-CHF en plus de 15 jours amende à 30.-CHF avec un sursis de 2 ans. Ça me coupe l’appétit.
Alors, ça se passe vraiment comme ça ? J’ai un prolongement de 24h, en plus des 24 premières heures, pour qu’un procureur, que je ne vois même pas, me fasse parvenir, entre deux bouchées de riz, cette ordonnance pénale ? J’en suis dégoutée.
Anne-Sarah se met à stresser car elle est financièrement incapable d’assumer le paiement d’une telle amende. Je la rassure, en lui disant qu’on va toutes et tous refuser en bloc, avec les autres rebelles, cette amende en faisant recours. Mais ce papier me reste tout de même en travers de la gorge.
Et puis tout s’enchaine : on me dit de sortir. Je ne peux pas laisser Anne-Sarah, ma compagne de cellule, là, toute seule. Je la prends dans mes bras et nous pleurons toutes les deux à l’idée de nous quitter. Je retrouve mes chaussures, ma jaquette. À l’étage inférieur, on me rend mes bijoux, mon sac et mes affaires personnelles. Puis on me guide vers la porte de sortie, je sors, je suis seule, ça se passe au ralenti. J’aperçois quatre personnes à ma droite qui ressemblent à des rebelles… je me rapproche. Je les salue et leur donne mon identité. Ils me sourient, oui, ils sont là pour moi, ils m’attendent.
L’un d’eux me dit que mon copain m’attend. Je me retourne et Simon est là. Quel soulagement, je saute dans ces bras. Je ne pensais pas qu’il viendrait me chercher à la sortie de prison. Je l’avais prévenu par message jeudi matin que je risquais une arrestation, que je ne pourrais plus répondre au téléphone. Mais il est là, il m’a attendu depuis ce matin. Il a pris le train pour Zurich, a dormi dans une tente froide et humide au campement pour venir me chercher. Il est environ midi. J’apprends qu’un des quatre rebelles est Kevin, le petit copain d’Anne-Sarah. Elle se demandait aussi s’il serait là, elle va être heureuse ! On me conduit dans l’appartement relais. On nous accueille avec un bon thé chaud et sucré.
Là, je peux faire mon premier téléphone : il sera pour mes enfants. « Coucou mes chéris. Voilà je suis sortie de la prison. Tout s’est bien passé. Vous ne vous êtes pas inquiétés ? - Non. Bien sûr comme je vous avais prévenus, c’est arrivé, j’ai été en prison, mais je vais bien.»
Mon deuxième appel sera pour ma sœur Emilie qui s’est fait un sang d’encre. Je la rassure et elle me dit que malgré son stress, elle a pu compter sur deux rebelles qui l’ont tenu toujours informée de la situation. En effet, deux personnes étaient mes contacts d’urgence. Ces personnes sont là pour faire le relais entre les rebelles arrêtés et la famille et les amis.
Voilà ! Ce qu’il me reste de ce séjour en prison à Zurich, c’est une profonde injustice. En effet, nous avons été traitées comme des criminelles alors que nous sommes des lanceurs et lanceuses d’alerte sur l’urgence climatique, pour le bien de la planète et la santé humaine. Cela m’a finalement donné encore plus de force pour continuer puisque je me sens nourrie d’une conviction inébranlable pour défendre le climat, la nature et la biodiversité. Et s’il faut utiliser notre simple corps pour faire réagir les grands décideurs du pays et de la planète, je le referai.
Depuis ça, j’ai été interviewée par un média valaisan qui a très bien relayé notre message dans le cadre du début de la COP15 sur la biodiversité en Chine.
J’ai aussi assisté la semaine dernière à l’un des «procès des 200». Il s’agit de toute une série de procès contre des activistes du climat (XR principalement) qui se passe en ce moment à Lausanne pour des actions de blocage (pont Bessière, rond-point de la Maladière, place St-François…) qui se sont déroulées en septembre 2019, il y a donc deux ans. Au lieu de faire un grand procès pour XR, la justice préfère prendre chaque activiste individuellement, et lui infliger une peine personnelle. C’est dur !
Dire que l’on va être jugé individuellement alors que nous sommes dans un élan solidaire pour le climat.
Je base un peu d’espoir sur la nouvelle du jour (25.10.2021) :
«l’ONU veut protéger les défenseurs de l’environnement»
Ce dispositif a été approuvé par 46 États, dont la Suisse, dans la convention d’Aarhus quant à l’accès à la justice sur les questions environnementales. Une «décision historique» selon la secrétaire exécutive de la CEE-ONU Olga Algayerova. «De plus en plus de défenseurs de l’environnement sont confrontés à des menaces de représailles».Le mécanisme va permettre d’appliquer le droit à un environnement «sain», «sûr», «propre» et «durable» reconnu récemment par le Conseil des Droits de l’Homme.
Tout individu pourra porter plainte auprès du rapporteur spécial.
Et pour finir, comme la prison a tissé des liens très forts entre nous, nous avons décidé de nous retrouver pour un bon repas, pas entre quatre murs, la semaine prochaine, Anne-Sarah, Frédérique, Ephyra et moi.
Avec amour et rage.
Marie de Monthey.